{"id":20363,"date":"2023-07-21T10:29:37","date_gmt":"2023-07-21T10:29:37","guid":{"rendered":"https:\/\/parisinstitute.org\/?p=20363"},"modified":"2024-02-02T10:38:10","modified_gmt":"2024-02-02T10:38:10","slug":"lesprit-gezi-la-possibilite-dune-impossibilite","status":"publish","type":"post","link":"https:\/\/parisinstitute.org\/lesprit-gezi-la-possibilite-dune-impossibilite\/","title":{"rendered":"L’esprit Gezi : La possibilit\u00e9 d’une impossibilit\u00e9"},"content":{"rendered":"\n

L’esprit Gezi : La possibilit\u00e9 d’une impossibilit\u00e9<\/h1>\n\n\n\n

(English version here<\/a>)<\/p>\n\n\n\n

par David Selim Sayers<\/a> (Paris, France)<\/p>\n\n\n\n

par Macha Matalaev<\/a> (Paris, France \u2013 traduction fran\u00e7aise)<\/p>\n\n\n\n

NOTE DES \u00c9DITEURS : Cet article a \u00e9t\u00e9 publi\u00e9 le 8 janvier 2014 dans la revue en ligne Reflections on a Revolution<\/a><\/em> (ROAR<\/em>), dans le cadre d’un colloque intitul\u00e9 \u00ab Reflections on the Gezi Uprising \u00bb (R\u00e9flexions sur le soul\u00e8vement de Gezi). Il est reproduit ici, avec l’aimable autorisation de ROAR<\/em>, pour marquer le 10e anniversaire de l’occupation du parc Gezi.<\/strong><\/p>\n\n\n\n

L’occupation du parc Gezi a pris fin dans la nuit du 15 juin 2013, lorsque la police anti-\u00e9meute a \u00e9vacu\u00e9 les manifestants par la force, utilisant des gaz lacrymog\u00e8nes et des canons \u00e0 eau pour chasser les occupants dans l’h\u00f4tel cinq \u00e9toiles \u00ab Divan \u00bb, qui jouxte le parc au nord. Ma femme et moi \u00e9tions au c\u0153ur des manifestations depuis le 4 juin et faisions partie de la poign\u00e9e de personnes, 200 tout au plus, \u00e0 avoir pass\u00e9 la nuit dans le hall de l’h\u00f4tel assi\u00e9g\u00e9, harcel\u00e9s par la police, pratiquement coup\u00e9s du monde ext\u00e9rieur et ne comprenant pas vraiment ce qui emp\u00eachait la police de faire irruption et de nous embarquer. Au lever du soleil, submerg\u00e9s d’\u00e9puisement et de d\u00e9go\u00fbt, nous avons quitt\u00e9 l’h\u00f4tel, travers\u00e9 les barricades et sommes rentr\u00e9s chez nous. Personne n’a essay\u00e9 de nous arr\u00eater. Ce n’\u00e9tait pas la peine, l’occupation \u00e9tait termin\u00e9e.<\/p>\n\n\n\n

Apr\u00e8s cette nuit, les manifestations se sont poursuivies de mani\u00e8re sporadique. Les habitants se sont r\u00e9unis en assembl\u00e9es de quartiers, tentant de recr\u00e9er l’exp\u00e9rience de Gezi dans les parcs locaux et mettant en place des tribunes de parole pour poursuivre les discussions sur les questions soulev\u00e9es lors des manifestations. Mais le moment r\u00e9volutionnaire \u00e9tait clairement r\u00e9volu. Le gouvernement AKP passa \u00e0 l’offensive : plus de soixante journalistes furent d\u00e9mis de leurs fonctions pour avoir parl\u00e9 des manifestations. Des citoyens furent arr\u00eat\u00e9s pour des d\u00e9lits aussi anodins que l’envoi de messages de soutien sur Twitter. La plupart des manifestants quitt\u00e8rent le mouvement actif. Une atmosph\u00e8re de peur et de parano\u00efa se r\u00e9pandit dans le pays et mena\u00e7ait de resserrer encore son emprise sur la vie des citoyens.<\/p>\n\n\n\n

Il n\u2019y eut aucune r\u00e9volution. Aucune destitution. Pas une seule d\u00e9mission dans les rangs de l’AKP. La police anti-\u00e9meute re\u00e7ut des avantages et des salaires en r\u00e9compense de ses efforts. Les n\u00e9gociations de la Turquie avec l’Union europ\u00e9enne, qui avaient \u00e9t\u00e9 report\u00e9es en raison des \u00e9v\u00e9nements, ont repris. Et l’AKP semblait en bonne position dans les sondages, aucune menace ne planant sur son avenir politique ni celui du premier ministre Recep Tayyip Erdo\u011fan.<\/p>\n\n\n\n

Bien s\u00fbr, la r\u00e9putation d\u00e9mocratique du gouvernement AKP n\u2019est pas sortie intacte de cette d\u00e9b\u00e2cle ; n\u00e9anmoins, sa gestion de la crise para\u00eet indulgente compar\u00e9e aux anciennes juntes militaires turques, dont la plus r\u00e9cente – et la plus f\u00e9roce – avait an\u00e9anti le mouvement d’opposition de gauche du pays et ouvert la voie \u00e0 l’instauration d’un ordre \u00e9conomique n\u00e9olib\u00e9ral lors du coup d’\u00c9tat de 1980, au cours duquel des milliers de personnes ont \u00e9t\u00e9 tu\u00e9es, port\u00e9es disparues ou arr\u00eat\u00e9es. Si c’est l\u00e0 la fin du soul\u00e8vement de Gezi, \u00e0 quoi a-t-il servi ? Et pourquoi ce ph\u00e9nom\u00e8ne nous int\u00e9resse-t-il encore aujourd’hui ?<\/p>\n\n\n\n

Et nous int\u00e9resse-t-il seulement ?<\/p>\n\n\n\n

Pour r\u00e9pondre \u00e0 cette question, il convient d’examiner deux aspects de la culture politique turque : d’une part, l’absence de contr\u00f4les institutionnels sur le pouvoir politique centralis\u00e9 et, d’autre part, une tradition profond\u00e9ment ancr\u00e9e de mener la vie politique en s\u2019appuyant sur les divisions de la soci\u00e9t\u00e9. Dans ce court article, je me concentrerai uniquement sur ce dernier aspect.<\/p>\n\n\n\n

L’av\u00e8nement de l’\u00c9tat-nation<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

Parmi les traditions ancestrales de la politique turque figurent la division et la polarisation, h\u00e9rit\u00e9es de l’Empire ottoman. L’empire, qui a \u00e9t\u00e9 fond\u00e9 vers 1300 et a surv\u00e9cu jusqu’\u00e0 la fin de la Premi\u00e8re Guerre mondiale, est connu pour son caract\u00e8re multiethnique et multireligieux. L’\u00e9lite ottomane dirigeante constituait une strate sociale \u00e0 part enti\u00e8re, pr\u00e9levant les imp\u00f4ts, les biens et les ressources humaines de la population tout en restant relativement \u00e9trang\u00e8re \u00e0 la vie et au mode de vie de la majorit\u00e9 de ses sujets. Ces derniers \u00e9taient subdivis\u00e9s principalement en fonction de leurs croyances religieuses, ce qui a donn\u00e9 naissance au syst\u00e8me des millet<\/em>, dans le cadre duquel des groupes ethno-religieux tels que les Juifs, les Arm\u00e9niens orthodoxes, les Arm\u00e9niens catholiques et les Grecs orthodoxes jouissaient d’un certain degr\u00e9 d’autonomie.<\/p>\n\n\n\n

Il ne fait aucun doute que les Ottomans \u00e9taient impitoyables dans leur r\u00e9pression de toute menace per\u00e7ue contre leur pouvoir, par exemple lors des massacres des Al\u00e9vis perp\u00e9tr\u00e9s par Selim Ier, surnomm\u00e9 “le terrible” (qui r\u00e9gna de 1512 \u00e0 1520). N\u00e9anmoins, de nombreux groupes religieux ont b\u00e9n\u00e9fici\u00e9 d’institutions semi-autonomes, telles que leurs propres cours de justice, o\u00f9 les litiges \u00e9taient r\u00e9gl\u00e9s selon les normes de la religion en question. Dans une certaine mesure, les sujets jouissaient de la libert\u00e9 de mouvement et de la libert\u00e9 de conversion d’une religion \u00e0 l’autre (\u00e0 l’exception \u00e9vidente de la conversion de l’islam). Jusqu’\u00e0 la fin du XIXe si\u00e8cle, les dirigeants ottomans de l’empire n’ont pas tent\u00e9 d’homog\u00e9n\u00e9iser leur population.<\/p>\n\n\n\n

Ce mod\u00e8le s’est effondr\u00e9 avec l’av\u00e8nement du nationalisme europ\u00e9en. L’Empire ottoman affaibli s’est peu \u00e0 peu d\u00e9sint\u00e9gr\u00e9, remplac\u00e9 par des \u00c9tats-nations qui \u00e9taient, dans la plupart des cas, des \u00c9tats clients de grandes puissances telles que la Russie, l’Autriche-Hongrie et la Grande-Bretagne. La mise en \u0153uvre de politiques nationalistes sur les territoires d’un empire autrefois multiethnique, multilingue et multireligieux a entra\u00een\u00e9 une catastrophe d\u00e9mographique dont les effets se font encore sentir aujourd’hui. Du g\u00e9nocide arm\u00e9nien au nettoyage ethnique des guerres yougoslaves, des pogroms anti-grecs de la Turquie des ann\u00e9es 1950 \u00e0 la guerre civile en cours en Syrie, toute la r\u00e9gion s’est engag\u00e9e, et s’engage encore, dans la t\u00e2che sisyph\u00e9enne de cr\u00e9er des \u00c9tats-nations homog\u00e8nes \u00e0 partir de ce qui a \u00e9t\u00e9 une entit\u00e9 politique ethniquement et religieusement m\u00e9lang\u00e9e pendant plus d’un demi-mill\u00e9naire.<\/p>\n\n\n\n

Dans ce processus, le nationalisme turc \u00e9tait un ph\u00e9nom\u00e8ne apr\u00e8s coup, une r\u00e9action aux autres nationalismes qui s’\u00e9taient d\u00e9velopp\u00e9s autour du noyau de l’Empire ottoman. Jusqu’\u00e0 la fin du XIXe si\u00e8cle, le mot “Turc” signifiait pour les Ottomans un nomade grossier, semi-pa\u00efen, sans aucune notion de civilisation et de culture. Mais lorsque l’empire s’est effondr\u00e9, l’ethnie et la culture turques ont \u00e9t\u00e9 “red\u00e9couvertes” et, dans une large mesure, r\u00e9invent\u00e9es, pour constituer une coh\u00e9sion parmi tous ceux qui restaient apr\u00e8s que les groupes ethnoreligieux eurent rogn\u00e9 l’empire autant qu’ils le pouvaient et que les grandes puissances se furent empar\u00e9es de tout ce qui pouvait faire l\u2019objet d\u2019un accord.<\/p>\n\n\n\n

Le nationalisme turc a \u00e9t\u00e9 renforc\u00e9 par des violentes politiques de nettoyage ethnique, la plus tristement c\u00e9l\u00e8bre \u00e9tant la destruction de la communaut\u00e9 arm\u00e9nienne en Anatolie pendant la Premi\u00e8re Guerre mondiale, mais aussi l’\u00e9change de populations avec la Gr\u00e8ce en 1923. Environ 2 millions d’Arm\u00e9niens ont \u00e9t\u00e9 tu\u00e9s ou d\u00e9plac\u00e9s, et environ 1 million de personnes de confession grecque orthodoxe ont \u00e9t\u00e9 expuls\u00e9es de la nouvelle r\u00e9publique turque. Malgr\u00e9 tous ces efforts, la population est rest\u00e9e h\u00e9t\u00e9rog\u00e8ne et les failles qui divisent aujourd’hui la soci\u00e9t\u00e9 turque \u00e9taient perceptibles d\u00e8s le d\u00e9but. D\u00e8s le d\u00e9but, les Kurdes repr\u00e9sentaient environ 20 % de la population. D\u00e8s le d\u00e9but, les Al\u00e9vis repr\u00e9sentaient 20 % de la population. D\u00e8s le d\u00e9but, la majorit\u00e9 musulmane sunnite rurale \u00e9tait acquise. Et d\u00e8s le d\u00e9but, l’\u00c9tat a favoris\u00e9 l’\u00e9mergence d’une \u00e9lite urbaine, \u00e9duqu\u00e9e, militante, la\u00efque et nationaliste.<\/p>\n\n\n\n

Le r\u00e9gime turque \u00ab contre \u00bb<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

Depuis lors, la Turquie est divis\u00e9e selon ces lignes de faille. L’\u00e9lite la\u00efque, compos\u00e9e de professionnels, de bureaucrates, d’officiers militaires, de citadins et de riches propri\u00e9taires terriens, a constitu\u00e9 la coalition qui a maintenu l’\u00c9tat turc \u00e0 parti unique au pouvoir jusqu’\u00e0 ce qu’il se fissure sous la pression de la Seconde Guerre mondiale. La majorit\u00e9 sunnite est courtis\u00e9e par les partis populistes depuis les premi\u00e8res \u00e9lections d\u00e9mocratiques en Turquie en 1950, au d\u00e9triment des minorit\u00e9s et de la gauche turque en difficult\u00e9. La gauche a cherch\u00e9 \u00e0 unir les groupes ethniques tout s\u2019opposant fermement aux islamistes. Les Kurdes ont trouv\u00e9 un terrain d’entente religieux avec la majorit\u00e9 tout en s’opposant \u00e0 elle sur la question du nationalisme. Les Al\u00e9vis se sont rang\u00e9s du c\u00f4t\u00e9 de l’\u00e9lite la\u00efque par crainte d’\u00eatre pers\u00e9cut\u00e9s et assimil\u00e9s par la majorit\u00e9 sunnite.<\/p>\n\n\n\n

Quiconque a gouvern\u00e9 la Turquie a toujours gouvern\u00e9 contre quelqu’un. Les la\u00efques ont gouvern\u00e9 contre les islamistes dans les premiers temps de l’\u00c9tat. Depuis la guerre froide, les musulmans sunnites et les \u00e9lites nationalistes ont gouvern\u00e9 ensemble contre la gauche. Le sentiment nationaliste a emp\u00each\u00e9 tout parti au pouvoir, qu’il soit islamique ou la\u00efque, de reconna\u00eetre les minorit\u00e9s telles que les Al\u00e9vis et les Kurdes. Les chevauchements entre les groupes et les id\u00e9ologies ont compliqu\u00e9 le tableau, faisant en fin de compte appara\u00eetre les divisions susmentionn\u00e9es comme hypocrites.<\/p>\n\n\n\n

Dans ce climat politique survolt\u00e9, on pourrait dire que les soul\u00e8vements, les r\u00e9bellions et les coups d’\u00c9tat occasionnels sont monnaie courante. Qu’est-ce qui rend donc le mouvement protestataire de Gezi diff\u00e9rent ou particulier ?<\/p>\n\n\n\n

Peut-\u00eatre n’\u00e9tait-il pas du tout diff\u00e9rent ni particulier. Peut-\u00eatre s’agissait-il simplement d’une r\u00e9p\u00e9tition de tendances d\u00e9j\u00e0 bien \u00e9tablies dans le corps politique turc. Le Premier ministre Erdo\u011fan s’est empress\u00e9 d’accuser les la\u00efques d’\u00eatre \u00e0 l’origine du mouvement, affirmant que leur objectif \u00e9tait de provoquer un coup d’\u00c9tat militaire, dans le plus pur style turc, en chassant par la force le gouvernement l\u00e9gitimement \u00e9lu de l’AKP. Et lorsque la police a repris la place Taksim aux occupants le 11 juin, la justification a \u00e9t\u00e9 que des images d’Abdullah \u00d6calan, chef emprisonn\u00e9 du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), \u00e9taient accroch\u00e9es tout autour de la place : le gouvernement ne pouvait pas laisser passer une telle insulte \u00e0 la nation turque. Les vieilles lignes de fracture se r\u00e9veill\u00e8rent : religieux contre la\u00efcs, nationalistes contre Kurdes. M\u00eame le conflit entre sunnites et Al\u00e9vis est intervenu : la grande majorit\u00e9 des personnes tu\u00e9es lors des manifestations \u00e9taient des Al\u00e9vis, ce qui sugg\u00e8re que les groupes Al\u00e9vis de la population protestaient, et \u00e9taient r\u00e9prim\u00e9s, avec une v\u00e9h\u00e9mence particuli\u00e8re.<\/p>\n\n\n\n

La possibilit\u00e9 d’une impossibilit\u00e9<\/strong><\/h2>\n\n\n\n

C’est vrai : beaucoup des manifestants du soul\u00e8vement de Gezi ont converg\u00e9 vers le parc Gezi sous la banni\u00e8re d\u2019un mouvement ou d\u2019un autre. Les la\u00efques \u00e9taient pr\u00e9sents en force, tout comme les Kurdes et les Al\u00e9vis. Cela n’avait rien d’exceptionnel. Ce qui l’\u00e9tait, c\u2019est qu\u2019en arrivant sur place, ils se sont rencontr\u00e9s. Et qui plus est, ils ont \u00e9galement rencontr\u00e9 des militants LGBT. Ils ont rencontr\u00e9 des musulmans sunnites anticapitalistes. Ils ont rencontr\u00e9 des supporters de football de tous les horizons politiques. Ils ont rencontr\u00e9 des gens dont ils \u00e9taient s\u00e9par\u00e9s par leur mode de vie et leur vision du monde, mais avec lesquels ils \u00e9taient unis dans leurs griefs contre la violence d’\u00c9tat que l’AKP faisait peser sur tous les groupes de mani\u00e8re \u00e9gale. Et cette rencontre a produit une r\u00e9v\u00e9lation.<\/p>\n\n\n\n

La r\u00e9v\u00e9lation a \u00e9t\u00e9 stup\u00e9fiante pour moi. J’avais grandi autour du parc Gezi. Mes grands-parents, v\u00e9ritables enfants de la r\u00e9volution k\u00e9maliste, m’avaient \u00e9lev\u00e9 \u00e0 l’ombre de la tour de Galata, le point le plus au sud de l’avenue Istiklal, la zone pi\u00e9tonne embl\u00e9matique d’Istanbul menant \u00e0 la place Taksim. Voir des drapeaux kurdes hiss\u00e9s sur cette place \u00e0 c\u00f4t\u00e9 de banni\u00e8res repr\u00e9sentant Atat\u00fcrk, entendre des militants LGBT prot\u00e9ger des sunnites en pri\u00e8re de la pluie, le tout dans une zone temporairement lib\u00e9r\u00e9e du contr\u00f4le de l’\u00c9tat, c’\u00e9tait plus qu\u2019une simple utopie. C’\u00e9tait quelque chose qui ne m’avait jamais effleur\u00e9 l’esprit. C’\u00e9tait comme voir une nouvelle couleur pour la premi\u00e8re fois, comme apprendre la premi\u00e8re lettre d’un alphabet inconnu, comme d\u00e9couvrir que j’avais v\u00e9cu dans la Matrice. Pour reprendre les mots de ma femme Evrim Emir-Sayers, docteure en philosophie, c’\u00e9tait \u00ab la possibilit\u00e9 d’une impossibilit\u00e9 \u00bb.<\/p>\n\n\n\n

Pendant l’occupation et les semaines qui ont suivi, ces groupes disparates de manifestants ont appris \u00e0 respecter l’espace et les opinions de chacun, ont particip\u00e9 \u00e0 des marches pour les causes de chacun, se sont moqu\u00e9s des clich\u00e9s id\u00e9ologiques de chacun et ont cess\u00e9 de s\u2019en remettre aux lignes de faille traditionnelles de la politique turque pour d\u00e9terminer leurs alli\u00e9s et leurs ennemis. Les divis\u00e9s et gouvern\u00e9s de la Turquie ont compris que ce qui les gouvernait, c\u2019\u00e9taient leurs pr\u00e9jug\u00e9s, et que la seule chose qui pouvait les unir \u00e9tait d\u2019exiger le respect, non seulement de leurs propres droits, mais aussi des droits de ceux qui manifestaient juste \u00e0 c\u00f4t\u00e9 d’eux.<\/p>\n\n\n\n

Le soul\u00e8vement de Gezi est termin\u00e9. Les gens se sont retir\u00e9s du parc Gezi et, dans une large mesure, derri\u00e8re leurs barricades id\u00e9ologiques habituelles. Il n’y a rien d’\u00e9trange \u00e0 cela. Apr\u00e8s tout, aucune des personnes pr\u00e9sentes au parc ne pouvait pr\u00e9voir ce qui l’attendait. L’ \u00ab esprit Gezi \u00bb a pris tout le monde par surprise et s’est \u00e9vanoui avant que la le\u00e7on n’ait pu \u00eatre assimil\u00e9e. L’occupation de Gezi n’est pas tant un \u00e9v\u00e9nement pass\u00e9 qu’une vision, un moment o\u00f9 la soci\u00e9t\u00e9 turque a bri\u00e8vement entrevu quelque chose qui n’existe pas encore. La question de savoir si cette vision se concr\u00e9tisera un jour reste ouverte. Mais elle a suffi \u00e0 transformer un sp\u00e9cialiste de la litt\u00e9rature ottomane en prose non occidentalis\u00e9e comme moi en un activiste politique. Et si cet exploit peut \u00eatre accompli, tout est possible.<\/p>\n","protected":false},"excerpt":{"rendered":"

L’esprit Gezi : La possibilit\u00e9 d’une impossibilit\u00e9 (English version here) par David Selim Sayers (Paris, France) par Macha Matalaev (Paris, France \u2013 traduction fran\u00e7aise) NOTE…<\/p>\n

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